artist statement / français
Ce qui m’intéresse est un état d’instabilité permanente. Cela m’a toujours dérangé de vouloir fixer les choses, de les réduire à quelque chose de simple, de chercher dans tout une fonctionnalité, une utilité, un accroche ou une nécessité. C’est ce qui explique ma prédilection pour les superpositions, la multiplicité, l’entrelacement des perspectives, du temps, de l’esprit et des corps mais aussi les sujets fragmentés, tout juste esquissés, flottant entre apparition et disparition. Ceci explique aussi en partie ma préférence pour le brut, le cru, le frais, le neuf, même si c’est travaillé.
Quand je commence une toile, j’ai des pistes, que je poursuis mais que je peux éventuellement abandonner si d’autres idées fortes surviennent pendant le processus.
J’essaye d’écouter ma tête, mais aussi mon corps, qui a ses secrets, sa propre volonté dans le geste plus ou moins spontané. J’essaye d’être attentif à chaque occurrence et contingence, d’écarter mes intentions premières si nécessaire, d’être furieux et doux, généreux et minimaliste, et de délaisser, dépasser les vieilles connaissances de la peinture, son histoire, les techniques acquises, le « savoir-faire ». (En général je me méfie de toute forme de maîtrise, et encore plus des concepts. Je préfère me sentir comme un débutant à chaque nouvelle toile. Mais ça ne veut pas dire qu’on peut éviter un minimum de travail artisanal, attribut nécessaire de n’importe quelle activité artistique et manuelle.)
Il m’est arrivé souvent aussi de me lancer dans une peinture à l’aveugle, juste pour le plaisir, pour satisfaire rapidement le besoin de passer à l’acte, porté par la certitude profonde que de toute façon il va se produire quelque chose. Juste histoire d’entrer directement dans le jeu, le combat, l’aventure (« Que ça commence, nom d’un chien ! »). Une confrontation féconde va avoir lieu, éperonnée par les provocations du hasard, et m’emmènera vers quelque chose d’essentiel, cela j’en suis sûr.
Le regard que je porte sur ma peinture remplit plutôt la fonction d’un guide confidentiel. Ce n’est pas un tyran qui me force à faire ceci ou cela. Il joue le rôle d’un navigateur fidèle, calme, chevronné, attentif, vif et réactif, capable de voir à travers la brume et la boue et de projeter des routes imaginaires à travers les ténèbres, indiquant la voie à prendre dans ces voyages vers l’inconnu. Mais je ne lui obéis pas toujours car même les irrégularités sont les bienvenues. Et quelquefois, ce navigateur détourne le regard voire ferme les yeux afin d’éviter un contrôle permanent et se « trompe » volontairement de chemin dans le but de satisfaire son goût insatiable pour les surprises. Ensemble nous faisons notre maximum pour éviter tout risque d’ennui et relever des défis inconnus. Ainsi, par exemple, la main prend le tube de bleu au lieu du vert, ou bien elle choisit un tube au hasard, parce qu’à cet instant précis il faut de la peinture, « vite, n’importe quelle couleur fait l’affaire », car c’est l’acte qui compte, il faut agir de toute urgence... après on verra. La justesse est dans l’expression immédiate.
Comme résultat je recherche une peinture qui permette de se promener, de jouer, de jongler, de « faire des galipettes dans la tête », pour citer le peintre G. Baselitz au sujet de sa peinture à l’envers. Pour y arriver, je suis à l’affût d’obtenir quelque chose de très exact, ayant la force de capter le regard d’un spectateur en provoquant une première réaction d’étonnement, d’approbation, de stupéfaction, ou même de rejet. La seconde d’après, il doit y avoir de la déstabilisation, de l’irritation, du questionnement, engendrant l’envie d’approfondir le regard, ou du moins de rester plus longtemps avec le tableau. C’est la justesse de l’arrangement de mille et une chose qui incite à une compréhension plus détaillée, à une observation plus profonde, suscitant le plaisir de se laisser tomber dedans pour découvrir plus, ou simplement pour se laisser flotter dans une douce incompréhensibilité.
Donner la possibilité de voyager, interpréter, déguster, vivre des histoires et des aventures individuelles, c’est ce que je recherche. Je peins de manière à ce qu’il y ait des fragments pouvant être complétés, des liens pouvant être créés dans de multiples directions, des constellations à déconstruire et reconstruire, de manière à « avaler » la peinture pure, à faire des rythmes, à danser avec les yeux, tout ce qu’on veut, c’est libre et peut être libératoire.
Et finalement, sur un plan encore plus fondamental, la question du « pourquoi » est toujours présente. C’est l’idée de la création de soi qui est à la base de tout. Le sujet est le peintre. Car en principe et en vérité, je me crée moi-même avec chaque nouvelle toile. On ne dit pas pour rien: « Ceci est un Picasso, c’est un Miró, un Dubuffet », etc...
J’avoue qu’il est séduisant et stimulant de penser qu’il y a, qu’il y aura des gens qui disent, qui diront: « c’est un Altrieth ». Oui, j’ai ma volonté, mon désir et même mon ambition. Et le leitmotiv est tout simplement: « Où est-ce que je peux aller avec moi-même, de quoi suis-je capable ? »
Ralf Altrieth, 11 janvier 2020
Ce qui m’intéresse est un état d’instabilité permanente. Cela m’a toujours dérangé de vouloir fixer les choses, de les réduire à quelque chose de simple, de chercher dans tout une fonctionnalité, une utilité, un accroche ou une nécessité. C’est ce qui explique ma prédilection pour les superpositions, la multiplicité, l’entrelacement des perspectives, du temps, de l’esprit et des corps mais aussi les sujets fragmentés, tout juste esquissés, flottant entre apparition et disparition. Ceci explique aussi en partie ma préférence pour le brut, le cru, le frais, le neuf, même si c’est travaillé.
Quand je commence une toile, j’ai des pistes, que je poursuis mais que je peux éventuellement abandonner si d’autres idées fortes surviennent pendant le processus.
J’essaye d’écouter ma tête, mais aussi mon corps, qui a ses secrets, sa propre volonté dans le geste plus ou moins spontané. J’essaye d’être attentif à chaque occurrence et contingence, d’écarter mes intentions premières si nécessaire, d’être furieux et doux, généreux et minimaliste, et de délaisser, dépasser les vieilles connaissances de la peinture, son histoire, les techniques acquises, le « savoir-faire ». (En général je me méfie de toute forme de maîtrise, et encore plus des concepts. Je préfère me sentir comme un débutant à chaque nouvelle toile. Mais ça ne veut pas dire qu’on peut éviter un minimum de travail artisanal, attribut nécessaire de n’importe quelle activité artistique et manuelle.)
Il m’est arrivé souvent aussi de me lancer dans une peinture à l’aveugle, juste pour le plaisir, pour satisfaire rapidement le besoin de passer à l’acte, porté par la certitude profonde que de toute façon il va se produire quelque chose. Juste histoire d’entrer directement dans le jeu, le combat, l’aventure (« Que ça commence, nom d’un chien ! »). Une confrontation féconde va avoir lieu, éperonnée par les provocations du hasard, et m’emmènera vers quelque chose d’essentiel, cela j’en suis sûr.
Le regard que je porte sur ma peinture remplit plutôt la fonction d’un guide confidentiel. Ce n’est pas un tyran qui me force à faire ceci ou cela. Il joue le rôle d’un navigateur fidèle, calme, chevronné, attentif, vif et réactif, capable de voir à travers la brume et la boue et de projeter des routes imaginaires à travers les ténèbres, indiquant la voie à prendre dans ces voyages vers l’inconnu. Mais je ne lui obéis pas toujours car même les irrégularités sont les bienvenues. Et quelquefois, ce navigateur détourne le regard voire ferme les yeux afin d’éviter un contrôle permanent et se « trompe » volontairement de chemin dans le but de satisfaire son goût insatiable pour les surprises. Ensemble nous faisons notre maximum pour éviter tout risque d’ennui et relever des défis inconnus. Ainsi, par exemple, la main prend le tube de bleu au lieu du vert, ou bien elle choisit un tube au hasard, parce qu’à cet instant précis il faut de la peinture, « vite, n’importe quelle couleur fait l’affaire », car c’est l’acte qui compte, il faut agir de toute urgence... après on verra. La justesse est dans l’expression immédiate.
Comme résultat je recherche une peinture qui permette de se promener, de jouer, de jongler, de « faire des galipettes dans la tête », pour citer le peintre G. Baselitz au sujet de sa peinture à l’envers. Pour y arriver, je suis à l’affût d’obtenir quelque chose de très exact, ayant la force de capter le regard d’un spectateur en provoquant une première réaction d’étonnement, d’approbation, de stupéfaction, ou même de rejet. La seconde d’après, il doit y avoir de la déstabilisation, de l’irritation, du questionnement, engendrant l’envie d’approfondir le regard, ou du moins de rester plus longtemps avec le tableau. C’est la justesse de l’arrangement de mille et une chose qui incite à une compréhension plus détaillée, à une observation plus profonde, suscitant le plaisir de se laisser tomber dedans pour découvrir plus, ou simplement pour se laisser flotter dans une douce incompréhensibilité.
Donner la possibilité de voyager, interpréter, déguster, vivre des histoires et des aventures individuelles, c’est ce que je recherche. Je peins de manière à ce qu’il y ait des fragments pouvant être complétés, des liens pouvant être créés dans de multiples directions, des constellations à déconstruire et reconstruire, de manière à « avaler » la peinture pure, à faire des rythmes, à danser avec les yeux, tout ce qu’on veut, c’est libre et peut être libératoire.
Et finalement, sur un plan encore plus fondamental, la question du « pourquoi » est toujours présente. C’est l’idée de la création de soi qui est à la base de tout. Le sujet est le peintre. Car en principe et en vérité, je me crée moi-même avec chaque nouvelle toile. On ne dit pas pour rien: « Ceci est un Picasso, c’est un Miró, un Dubuffet », etc...
J’avoue qu’il est séduisant et stimulant de penser qu’il y a, qu’il y aura des gens qui disent, qui diront: « c’est un Altrieth ». Oui, j’ai ma volonté, mon désir et même mon ambition. Et le leitmotiv est tout simplement: « Où est-ce que je peux aller avec moi-même, de quoi suis-je capable ? »
Ralf Altrieth, 11 janvier 2020